M.V. : Pour ce qui est de la réception de la part des habitants du quartier, c’est toujours très difficile. Disons que le but, c’est qu’ils prennent leur pied, dans tous les sens du terme. C’est-à-dire qu’il faut que chaque personne puisse s’approprier le parc, en principe sans nuire aux autres. Par exemple, je sais que si j’avais été collégien dans ce parc au mois de mai en deux-mille-dix, j’y aurais emmené ma petite copine pour butiner. Au mois de mai, je trouve que c’est plutôt pas mal, plutôt qu’un parc crasseux. Je crois que c’est un endroit où l’on peut faire la sieste, et de toute façon je crois que cet endroit va très bien évoluer. Il ne peut que bien évoluer parce qu’il n’y a pas grand-chose de fait. Si l’on prend un projet complètement autre, regardez ce qui a été fait dans les années quatre-vingts, là aussi je prends un exemple parisien même si je suis Havrais, au niveau des Halles centrales. Il y a un parc qui a coûté une fortune absolument considérable et qui a été sur-dessiné avec tout ce qu’il fallait en mobilier, revêtement dur, etc. Là c’était sordide ! On disait aux gens : «toi, tu t’assieds là !», «toi, tu te promènes ici !», «tu vas tout droit», «tu ne marches pas sur la pelouse !», «tu fais attention à ça». Il y a un côté hyper dirigiste qui ne marche pas du tout. Là, au Haut-du-Lièvre, le parc a une telle superficie par rapport au nombre d’habitants qu’il y a autour, je pense qu’on a un ratio qui est assez confortable. Donc, je pense qu’il ne peut évoluer que bien et je crois que plus tard on pourra très bien mettre des bancs plus pérennes, mais on les placera là où les gens auront décidé de passer, en observant les chemins de chèvre ( piétinements du sol non prévu par les concepteurs, créés par les habitants du lieu ) et en les jalonnant de bancs. C’est par l’observation de l’utilisation des gens de leur parc, que celui-ci sera aménagé petit à petit. C’est le bureau d’Alexandre qui s’en occupera, car il aura le dossier encore quelques années. Ce qui est intéressant, c’est la vitesse à laquelle les espaces évoluent. La nature est super réactive, si on compare une photo d’il y a deux ans avec une photo d’aujourd’hui, on voit que l’espace a considérablement évolué. On a un parc qui pousse, qui sera réellement géré et pas bêtement entretenu. Après, c’est vrai, on peut toujours se poser la question de dépenser l’argent autrement, dans des actions sociales auprès de la jeunesse. C’est évident, on ne peut qu’être d’accord avec ça. Mais ce qui est super intéressant dans le travail d’Alexandre Chemetoff, c’est que par rapport au budget que la ville s’était donné pour le parc, Alexandre dépense considérablement moins. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais si la ville avait prévu cent euros, Alex va peut être en dépenser quinze ou vingt. Par contre, il fait garder de l’argent pour justement permettre à ce parc d’évoluer, qu’il soit non pas entretenu mais jardiné et qu’on puisse dans quatre ans acheter des bancs à placer ça et là. C’est une toute nouvelle manière de faire. Regardez les traitements extérieurs qui ont été faits à Bordeaux sur les quais, ça a été un projet considérable avec de très beaux jardins, de très beaux espaces verts et tout ce qu’on veut. Le gros problème, aujourd’hui, c’est que la ville de Bordeaux n’a plus une thune pour entretenir ces espaces verts. C’est la catastrophe totale, c’est d’autant plus la catastrophe qu’on a des espaces qui demandent à être entretenus car ils ont été conçus comme tels, j’entends énormément entretenus. Là, au Haut-du-Lièvre, si personne ne vient jardiner dans le parc pendant trois mois, ça ne pose aucun problème, ni au parc ni au typologies végétales. Cette démarche s’inscrit à un point extraordinaire dans le développement durable, avec un tout petit budget, quelque chose comme vingt mille euros, si mes souvenirs sont bons, ce qui est absolument minuscule pour un marché public.